Devançant Jean Boucher et avec leur propre style, Falguière, Dalou, Becquet, Mercié, Marquestre, Injalbert et Rodin ont magnifié Victor Hugo, créant une véritable « vogue Hugo ».
La représentation récurrente de l’homme de lettres tentait de faire revivre le chantre bourgeois, l’humaniste, le grand père barbu des dernières années, seul Rodin décida de le représenter nu.
Cherchant à oublier les images et les figures plus ou moins légendaires que l’écrivain a données de sa personne, Jean Boucher choisit de traiter le poète exilé, livrant ainsi sa propre interprétation de l’écrivain.
Après plusieurs relectures de Victor Hugo, Jean Boucher décide de glorifier « l’homme qui marche » sur les lieux de la création, debout sur les rochers de Guernesey face à la mer. Seul dans la tempête, marqué par l’exil et le déracinement, l’artiste représente l’écrivain à la recherche de l’inspiration.
Dans les Chroniques d’Art 1902-1918, Guillaume Apollinaire (1) commente le 7 juillet 1914 :
« A propos du Victor Hugo » de Jean Boucher.
Jean Boucher n’a pas voulu rivaliser avec Rodin et ce n’est pas le Titan qu’il a sculpté, c’est l’homme, c’est le poète exilé qui rêve de sa patrie et attend l’inspiration au bord de mer. L’œuvre de Jean Boucher fixe avec un rare bonheur tous ces souvenirs de la vie si agitée du grand poète si fécond […] »
Au Salon des Artistes français le 29 avril 1913 Apollinaire commentait déjà « Le Victor Hugo de Jean boucher est un morceau d’une envolée superbe ».
La commande de cette oeuvre
Le Roi du Portugal manifeste l’envie en 1906 alors qu’il est en voyage à Paris, d’ériger une sculpture en l’honneur du poète français, dans la ville de Lisbonne. L’exécution du monument est confiée à Jean Boucher qui envisage de faire la maquette avant la fin de l’année 1906.
Le Portugal est sujet à des insurrections et en 1908, l’autorisation d’ériger la sculpture à Lisbonne est retirée.
Jean Boucher propriétaire de son oeuvre, décide de l’exposer au Salon des Artistes français en 1908, et c’est un succès, les critiques encensent cette nouvelle réalisation.
L’Etat se porte acquéreur de la statue et en lien avec la Société Victor Hugo, ils engagent les démarches auprès de l’Angleterre et des Etats de Guernesey afin que l’oeuvre soit érigée sur le lieu d’exil de Victor Hugo.
Jean Boucher demande l’autorisation de traduire son oeuvre en marbre, finalement elle sera taillée dans le granit, matériau d’un coût moindre. Le 22 juillet 1913, l’œuvre est inscrite à l’inventaire du dépôt des marbres.
Ce n’est que le 7 et 8 juillet 1914 qu’aura lieu la fastueuse inauguration dans le parc de Candie Garden à Guernesey, en présence de Jean Boucher.
Cette fête grandiose regroupa deux cents convives venus de France et d’Angleterre. De Paris le départ fut fixé le lundi 6 juillet par train spécial via Cherbourg afin d’embarquer à bord du vapeur Véra. L’inauguration fut ponctuée par les parades militaires, les dîners et la musique.
Après guerre, Jean Boucher reprit le thème et retira plusieurs réductions du Victor Hugo en exil.
Le fondeur d’art, Valsuani (2), exécuta plusieurs tirages en bronze en utilisant la technique de la fonte à la cire perdue et patine verte d’après maquette.
Du plâtre original dont a été conçue la version en granit de Guernesey, Jean Boucher a réalisé une version en bronze, exposée au Salon des Artistes français en 1931, puis, devant le Panthéon en 1935. Cette version est aujourd’hui conservée par la Ville de Thionville, depuis le 4 juin 1951.
(1) Extraits des Chroniques d’Art, 1902-1918, Paris-Idées/Gallimard, 1960, Textes réunis avec préface et notes par L.C. Breunig.
(2) Valsuani, célèbre fondeur d’art parisien travaillant aussi pour Rodin et Bourdelle.